EM­MA­NUEL CEYS­SON, 3.12.2020

La harpe est, par excellence, l’instrument du poète conteur : la lyre d’Orphée, le Kantele de Vainamöinen, la kora Africaine, la harpe du troubadour au moyen-âge… Elle accompagne l’homme depuis l’invention de l’arc ; d’abord instrument primitif de mort et nourrice du corps, devenu, par la vibration de ses cordes multipliées et amplifiées, instrument de vie et nourrice de l’âme.

Son mystère repose dans la source de sa voix : la corde contrainte, tendue par la peau nue du doigt, finalement libérée, mettant en vibration le bois qui la maintient, l’instrument tout entier, et l’air qui l’entoure, jusqu’aux tympans de son auditeur.

Ces vibrations, perçues dans le ventre de ma mère (qui écouta beaucoup la harpiste Lily Laskine et le flutiste Jean-Pierre Rampal jouant l’iconique concerto K299 de Mozart, pendant sa grossesse), puis reconnues 6 ans plus tard pendant un cours d’initiation musicale, dans l’Andantino de cette même pièce, se gravèrent en moi, de manière indélébile. 

Elles accompagnent mon quotidien, tant dans l’orchestre que dans ma pratique chambriste et soliste, et m’aident à raconter ce que parfois les mots ne suffisent pas à dire.

Loin de l’arc primitif, la harpe à pédales que vous allez entendre aujourd’hui est le fruit de siècles d’évolution et d’experimentations diverses, qui la virent grandir en taille et nombre de cordes, jusqu’au tournant pris en 1810 grâce à l’invention, à Londres, loin des tumultes de la révolution outre-Manche, du génial ingénieur Français Sebastien Erard. 

Il mit au point un système mécanique appelé ‘double mouvement’, qui donna enfin à la harpe la possibilité d’explorer toutes les tonalités de la musique occidentale, avec l’aide de 7 pédales associées aux 7 notes de la gamme (do, ré, mi, fa, sol, la, si). Par leur action, ces pédales permettent à chaque corde de produire 3 hauteurs de sons différentes (bémol, bécarre et dièse), et réduisent donc le nombre de cordes, la tension sur le bois de l’instrument. La harpe devient alors plus résonnante et puissante.

Grâce à l’audace d’interprètes compositeurs comme l’Anglais Elias Parish-Alvars, qui surent réinventer une technique et un répertoire pour cet instrument renouvelé, correspondant mieux au romantisme et à la démesure du XIXème siècle, la harpe prit son essor et sortit de la bergerie de Marie-Antoinette, pour rejoindre les orchestres de Berlioz et de Wagner, mais aussi briller en récital sur les grandes scènes du monde entier. Cependant, cette renaissance tardive, la spécificité de sa technique et sa facture complexe furent autant de limites à l’expansion de son répertoire hors du monde des harpistes : les compositeurs reconnus, majoritairement formés au clavier dans leur apprentissage de la musique, trouvèrent dans le piano un ambassadeur plus sûr de leur popularité. La harpe reste donc, encore aujourd’hui, un instrument confidentiel.

La crise de la CoViD19 a mis à l’arrêt le monde du spectacle vivant, et imposé le silence dans les théâtres du monde entier. Les artistes, privés du lien physique avec leur public, ont tenté de pallier à ce vide en multipliant leur présence en ligne, démontrant des trésors d’inventivité, ouvrant de nouvelles voies pour leur art sur notre planète ultra connectée. Mais cette vivacité a aussi mis en évidence l’irremplaçable nécessité de la rencontre spacio-temporelle, spécifique à l’art vivant : ce lien invisible que l’artiste tisse en présence de son public, sur une scène ou dans un lieu donné, cette « communion des âmes », ce partage spirituel d’une oeuvre, rendu unique et éphémère par le passage du temps.

J’ai choisi, pour rompre ce jeûne forcé, de partager avec vous mes « oeuvres de confinement », nouvelles pièces apprises ou approfondies entre New York et Los Angeles, toutes Françaises du XXème siècle, m’ayant permis de garder un pied sur ma terre d’origine.

J’y ai associé, pour m’aider à reprendre la place du conteur et sortir du labyrinthe du silence de ces derniers mois, poésies, mythes et réflexions, comme un fil d’Ariane. 

Libre à vous d’y trouver le lien à la musique, sans le réduire à une simple illustration de cette dernière, ces textes ayant aussi forgé l’imaginaire créatif des compositeurs. 

Un lien à double-sens donc, tout comme celui qui va nous unir dans un moment : l’instant du concert.

Claude Debussy (1862-1918)

Suite bergamasque (1905)
Prélude
Menuet
Clair de Lune
Passepied

Paul Verlaine (1844-1896)

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques,
Jouant du luth et dansant, et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques!

Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune.
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur,
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver, les oiseaux [dans]les arbres,
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

Oeuvre d’un jeune Debussy, la Suite bergamasque pour piano est publiée en 1905, et trouve en partie son inspiration dans les Fêtes galantes de Paul Verlaine : « Clair de Lune », premier poème du recueil, devient le titre du troisième mouvement, originellement titré « promenade sentimentale », et l’adjectif/nom bergamasque (masques de Bergame en Italie), employé par Verlaine pour rythmer et faire « sonner » son deuxième vers, qualifie la suite entière. Car il s’agit bien ici de « musique avant toute chose », expression chère à Verlaine, qui choisit chaque mot et construit sa poésie en phonèmes rythmés, comme un compositeur agence ses notes dans le temps. Le texte est une longue métaphore sur l’état d’âme du/de la dédicataire, qui feint d’aimer, dans une célébration nocturne toute en mélancolie.

Debussy, en écrivant une suite de danses, apanage des fêtes baroques, n’est pas en reste! Il alterne modes majeurs lents dans ses Prélude (1) et Clair de lune (3), et mineurs rapides dans ses Menuet (2) et Passepied (4), et entraine l’auditeur dans une « fête galante » d’émotions contradictoires.

Cette suite a pour moi un parfum d’enfance : ma grande soeur, qui apprenait le piano, la répéta d’innombrables fois dans notre salon, et ses teintes impressionnistes ont grandement influencé mes goûts musicaux d’aujourd’hui. Considérée comme peu difficile au piano, sa transcription pour harpe a été un vrai défi, que je suis heureux de partager avec vous ce soir.

Le passepied en particulier, du fait de sa main gauche en staccato (notes brèves), est peu compatible avec la harpe naturellement résonnante. J’ai cependant essayé de rester fidèle à l’esprit vif de cette danse d’origine bretonne, région de France où nous allons continuer notre voyage.

Jean Cras (1879-1932)

2 Impromptus (1925)
Charles de Gaulle (1837-1880)
Da Varsez Breiz (extrait)

va c’horf zo dalc’het
Med daved hoc’h nij va spered Vel al labous, aden askel,
Nij de gaout he vreudeur a bell

Mon corps est retenu
mais mon esprit vole vers vous,
comme l’oiseau à tire d’aile
vole vers ses frères qui sont au loin

La Bretagne voit naitre Jean Cras en 1879, de deux parents mélomanes, et il s’y éteindra en 1932, après une vie partagée entre la musique et la mer : fils de médecin de la marine, sa carrière militaire sera couronnée par les grades de Contre-amiral, Major général commandant du port de Brest.

C’est aussi en Bretagne, à Quimper, après la carrière militaire qu’on lui connait, que le Général de Gaulle prononcera son dernier discours public en 1969, et il y citera son grand oncle homonyme, en langue bretonne, dans un poème adressé aux bardes celtes.

L’océan et la Bretagne sont une source d’inspiration sans limite pour Jean Cras, qui embarque son piano droit (modifié aux dimensions de sa cabine) lors de tous ses voyages : en effet, il dit trouver en mer des « conditions […] particulièrement favorables à une production (musicale) avant tout sincère et non sollicitée, impressionnée par ce qui s’écrit ».

Ses Deux impromptus, qui suivent par nature une forme libre, composés à bord du croiseur La Motte-Picquet et terminés dans le port breton de Lorient en 1925, illustrent à merveille cette double influence :

Le premier, « Lent », évoque pour moi le temps long du voyage en mer, le roulis et l’univers sonore du large. Construit comme une improvisation, il utilise l’alternance de deux accords graves, sur lesquels se greffent des fioritures en vaguelettes. S’y ajoute une longue phrase, qui évoluera en tempête, avant l’embellie finale, ponctuée par une fondamentale répétée au plus grave de la harpe, comme une corne de brume, transition vers le deuxième impromptu, « Animé ».

Celui-ci interrompt brusquement le calme par un glissando rapide dans une tonalité nouvelle. S’ensuit un chant de marin d’esprit simple et vif, repris de multiples fois, à la manière d’une comptine. Puis, comme si le bateau prenait la mer avec ses marins, Jean Cras réintroduit des éléments du premier impromptu, liant en musique les destins de ces derniers à l’océan.

« C’est en face de la mer que nous finirons nos existences et que nous irons dormir pour entendre au loin son éternel murmure » Albert Roussel

Cette épitaphe autographe, qui orne la tombe d’Albert Roussel au cimetière marin de Varengeville- sur-Mer, montre, comme chez Jean Cras, l’influence de l’univers maritime sur sa vie et son oeuvre. Egalement officier de marine, il décide cependant d’interrompre sa carrière militaire en 1894 pour se consacrer à la musique. Mobilisé lors de la première guerre mondiale, c’est au sortir de celle-ci qu’il écrit son Impromptu pour harpe, au bord de la Méditerranée, en 1919.

Ovide, poète latin né en 43 av. JC, écrit ses Métamorphoses à 44 ou 45 ans. Il puise dans le répertoire immense des mythes Gréco-Romains pour conter son histoire du monde, les désirs des hommes et des Dieux, ici, dans le livre X, le chant du malheureux poète Orphée.

Albert Roussel (1869-1937)

Impromptu pour la harpe, op.21 (1919)

Ovide (43 av. JC – 17 ap. JC), les Métamorphoses, livre X, « les chants d’Orphée », vers 148-154

« Par Jupiter, Muse ma mère (toute chose cède au règne de Jupiter), bouge mon poème. Le pouvoir de Jupiter,

je l’ai souvent dit, avant.
J’ai chanté les Géants d’une lyre lourde
et les foudres victorieuses semées sur les plaines de Phlégra.
Maintenant je vais chanter d’une lyre légère les garçons
aimés des dieux, les filles frappées par des feux
tabous, punies pour leur désir. »

Roussel entame sa pièce par les 3 notes supposées de la lyre antique, instrument du poète Orphée : « Ré bémol, Do, Si » répétées de manière hypnotique, plaintive, telles une « lyre lourde », introduisent un thème « Modéré » rythmique et dansant, qui exulte une première fois.

Il laisse place à une mélodie « Très calme » plus lascive, aux couleurs orientales, accompagnée par une main gauche sinueuse. Le chant se désagrège progressivement en arpèges et glissandi, autour d’une note scandée, ponctuée par une longue gamme suspensive.

Revient alors comme une réponse la danse initiale, exultant une deuxième fois! Et c’est dans cette joie retrouvée, cette « lyre légère », mais domptée, accompagnant maintenant la mélodie lascive, que Roussel conclut son impromptu, hommage à la Méditerranée Gréco-Romaine.

A l’instar d’Ovide, Marius Constant, compositeur Français plus connu pour sa composition du thême iconique du générique de la série américaine Twilight Zone (la Quatrième Dimension), piocha dans les mythes Grecs pour son Harpalycé

Marius Constant (1925-2004)

Harpalycé (1980)

Légende d’Harpalycé, d’après Euphorion de Chalcis
« D’une grande beauté, la jeune Harpalycé est violée par son père.
L’enfant, né de cet inceste, est tué par la jeune fille et servi, par vengeance, au repas du père;
celui-ci, s’apercevant de quelle étrange cuisine sa fille l’avait nourri, meurt de douleur.
Les Dieux, témoins du drame, changent Harpalycé en un oiseau de nuit. »

Poète Grec du IIIème Siècle av. JC, Euphorion de Chalcis est considéré comme un représentant du « poème obscur », ou ara. Les fragments de son oeuvre parvenus jusqu’à nous peignent souvent le tableau d’amours sombres et violentes, chez les dieux comme chez les hommes, et ces 2 adjectifs s’appliquent sans ambiguïté à la musique que Marius Constant compose pour nous raconter Harpalycé.

Marius Constant est formé par Dinu Lipatti et Georges Enesco dans sa Bucarest natale, puis Olivier Messiaen et Nadia Boulanger entre autres au Conservatoire de Paris. Son intérêt pour les musiques électronique et concrète le suit tout au long de sa carrière. Il compose de nombreux ballets et de musique de scène, y exprime sa passion pour le théâtre et expérimente avec des instruments rares ou nouveaux.

Dans cette pièce, écrite en 1980, la harpe sort de son rôle d’instrument « angélique », et est exploitée aux limites de ses capacités sonores, « maltraitée » de toutes parts par les doigts du harpiste, mais aussi ses ongles, et une clef d’accord (!), pour créer un univers sonore à même de représenter l’horreur traversée par la jeune fille.

De rares moments de répit font chanter l’instrument d’une manière plus tendre, presque lyrique, lui font imiter la voix humaine, mais l’obscurité et la plainte ne quittent jamais la partition. Après un ultime accès de violence (découverte de « l’étrange cuisine » et mort du père, selon moi), on retrouve une Harpalycé métamorphosée en oiseau nocturne, qui s’efface dans le noir.

Loin des lyres torturées et de leurs tragédies, Gabriel Fauré s’inspire d’un Moyen-Age fantasmé et décalé de Verlaine dans sa Bonne Chanson, et invente une harpe presque « médiévale », illustration d’un amour beaucoup plus léger et lumineux, dans Une chatelaine en sa tour, op.120.

Gabriel Fauré (1845-1924)

Une chatelaine en sa tour, op. 110 (1918)

Paul Verlaine (1844-1896)
La bonne chanson (1870)

VIII.
Une Sainte en son auréole,
Une Châtelaine en sa tour,
Tout ce que contient la parole Humaine de grâce et d’amour;

La note d’or que fait entendre
Un cor dans le lointain des bois,
Mariée à la fierté tendre
Des nobles Dames d’autrefois;

Avec cela le charme insigne
D’un frais sourire triomphant
Éclos dans des candeurs de cygne Et des rougeurs de femme-enfant;

Des aspects nacrés, blancs et roses,
Un doux accord patricien:
Je vois, j’entends toutes ces choses
Dans son nom Carlovingien.

Ecrite un an après les Fêtes galantes, où régnent nostalgie, conflit intérieur, voire cruauté,

la Bonne chanson surprend par son ton plus léger, presque mièvre, et pour cause : Verlaine se persuade de son amour pour la très jeune Mathilde Mauté de Fleurville, à qui il dédicace ce recueil de 21 poèmes comme cadeau de fiançailles. En se précipitant dans ce mariage de norme, il cherche en fait à conjurer son ivrognerie et son homosexualité, sans grand succès : un an plus tard, alors que son fils Georges est sur le point de naitre, il rencontre et s’éprend d’Arthur Rimbaud, plonge dans l’absinthe et violente Mathilde, qui le quitte…

Ces pages, au parfum d’amour naissant, ont inspiré Fauré à 2 reprises : d’abord dans un cycle de 9 mélodies au titre éponyme publié en 1894, composé avec et dédié à son amante la soprano Emma Bardac ; puis à la fin de sa vie dans cette Chatelaine en sa tour, écrite en 1918 pour son amie la harpiste Micheline Kahn, d’après le huitième poème du recueil de Verlaine.

Le texte est une ode au Moyen-Age, par sa structure (quatre quatrains d’octosyllabes utilisés fréquemment dans la poésie médiévale), son chant lexical, mais surtout son thème central : le prénom Mathilde, à la sonorité surannée. Tout le poème est une libre association de ce qu’évoquent à Verlaine le nom de sa fiancé, évocation chaste comme charnelle, et son « accord patricien » à la demande en mariage.

Gabriel Fauré commence sa pièce par une mélodie simple et lente jouée à une main, presque triste, qu’il développe en crescendo et tournoiements, à la manière d’une « Gretchen au rouet » de Schubert, et qui culmine en une longue gamme mineure à la fin de sa première partie.

Après une courte transition, hésitante, amenant la fraicheur d’une tonalité majeure, Fauré développe alors sa « phrase amoureuse », exaltée, accompagnée de grands arpèges utilisant toute la harpe. Elle atteint un bref climax, puis retombe très vite dans le doute.

On retrouve alors une variation sur le thème mineur du début, repris en canon par la basse, clin d’oeil au Moyen-Age. Il culmine encore une fois, tristement, mais Fauré, ne pouvant se résoudre à des amours malheureuses, décide, après deux grands glissandos interrogateurs, de nous le présenter une dernière fois, transfiguré en « frais sourire triomphant » (celui de Micheline Kahn?) grâce à la douceur des harmoniques et du mode majeur.

Il m’était impossible de conclure ce récital sans aborder une autre transfiguration, à travers le génie méconnu d’Henriette Renié, harpiste, pédagogue et compositrice qui transforma profondément l’image de la harpe au tournant du XXème siècle.

Henriette Renié (1875-1956)

Pièce symphonique en trois épisodes (1907)

Marche funèbre
Appassionato
« La pensée des espérances futures ne détruit pas la douleur, elle la transfigure »

Récompensée à 11 ans par un Premier Prix de harpe du Conservatoire de Paris sous l’égide d’Alphonse Hasselmans, admise très jeune dans les classes d’écriture musicale, Henriette Renié fut une des femmes compositrices pionnière dans le milieu musical parisien : elle crée en 1901 son propre Concerto en do mineur pour harpe et orchestre, ovationné par le public et la critique, qui convaincra Saint-Saens, Debussy et Ravel, entre autres, de s’intéresser à la harpe comme instrument soliste.

Extrêmement pieuse, célibataire jusqu’à sa mort, elle partagera sa vie entre sa foi et son art, comme interprète, compositrice, et professeure des grands harpistes du XXème siècle, dont Harpo Marx! La Pièce Symphonique, qui fait de la harpe un orchestre, est une réflexion quasi religieuse sur le travail de deuil.

Elle commence par une introduction très violente, comme un cri de douleur, qui laisse place à une Marche funèbre en mineur, accompagnée d’un ostinato de 4 notes basses descendantes, qui illustre la stupeur de la disparition.

Après une cadence révoltée, un réflexe de déni, l’Appassionato remplace la douleur par une colère qui monte en puissantes vagues successives.

Alors que rien ne semblait pouvoir l’arrêter, sept harmoniques pures colorées d’arpèges aigus (la

« transfiguration », ou « pensée des espérances futures »), interrompent brusquement la violence et laissent place à une longue phrase ascendante (la Marche funèbre transfigurée en majeur), d’inspiration très wagnérienne (cf Parsifal, leitmotiv du Saint Graal).

Ce bref répit laisse place de nouveau à des accès de révolte répétés qui s’imposent dans une accélération du tempo et une condensation dramatique du thème de l’Appassionato. Après un silence, la sentence de la marche funèbre résonne de nouveau, en alternance avec les sept notes de la transfiguration, qui la modifient progressivement.

Devenue Espoir, la douleur, transfigurée de nouveau, met fin au deuil : son thème apaisé enfle dans un élargissement symphonique grandiose, une extase jubilatoire…

Très certainement rattachée pour Renié à sa profonde foi catholique et la croyance en une vie après la mort, cette pièce trouve écho en moi comme un symbole des phases que j’ai traversées intimement durant la pandémie du coronavirus : une forme de métaphore de la stupeur, de la colère, puis de la résilience humaine, que le monde traverse.

Comme lors de tout évènement traumatique, « l’après » restera marqué des cicatrices du passé ; mais bien que l’innocence s’efface, l’espoir nous offre un socle suffisant pour un nouveau départ.

La construction de ce récital qui met en regard poésie et musique et l’écriture de ces notes de programme, ont occupé la majeure partie de mon temps confiné, à New York puis à Los Angeles. Musicien conteur, je reviens aujourd’hui sur scène avec l’espoir intact de partager, à travers l’instrument qui m’a choisi au plus jeune age, les émotions qui résonnent en chacun de nous, et de communier avec vous lors de cet instant du concert, que je vous souhaite magique.

Merci de votre présence,
Emmanuel Ceysson

Emmanuel Ceysson’s teaching visit and concert are part of the international visitor programme launched at the Sibelius Academy of the University of the Arts Helsinki at the beginning of 2019. The programme complements the education provided at Sibelius Academy by inviting leading artists from different parts of the world to participate in the programme. The visiting artists work with Sibelius Academy students and teachers in a periodical manner, mainly in periods of one or two years. The establishment of the programme has been supported by the Jane and Aatos Erkko Foundation and Jenny and Antti Wihuri Fund.